La liste de vocabulaire est la pire manière d’apprendre une langue, voici pourquoi

Par Pierre

7 décembre 2024

Un souvenir d’école, qui devrait parler à beaucoup de monde : à la fin du cours, le professeur distribue un polycopié sur lequel figurent des mots dans une langue étrangère, accompagnés de leur traduction en français. Ces mots, vous devez les apprendre par cœur pour la semaine suivante. Vous tâchez ensuite de mémoriser ce vocabulaire avec sérieux. Mais lorsque le contrôle arrive, rien à faire : vous n’arrivez à restituer qu’une fraction de ce que vous avez appris. Vous aurez reconnu sans mal la terrible liste de vocabulaire. Dans cet article, nous allons voir pourquoi elle est un support à proscrire et quelles ressources employer à la place.

Comment le cerveau acquiert une langue

Avez-vous remarqué que les listes de vocabulaire sont réservées à la seule étude des langues étrangères ou anciennes ? En effet, étant enfant, vous n’avez jamais eu besoin de listes pour acquérir le français. Votre vocabulaire s’est étoffé naturellement, petit à petit, grâce à trois éléments-clés : l’immersion, la répétition et un intérêt personnel.

Le pouvoir de l’immersion

Les tenants d’une acquisition naturelle de la langue promeuvent l’immersion comme moteur principal. Le linguiste américain Stephen Krashen, a ainsi développé un modèle appelé input hypothesis (que l’on pourrait traduire par « hypothèse des intrants »), qui stipule que la maîtrise d’une langue résulte d’un contact régulier avec du contenu très légèrement au-dessus du niveau de l’apprenant. C’est le fameux comprehensible input (ou « intrant compréhensible »), aussi nommé « i + 1 ». Le « i » représente votre niveau actuel et le 1, cette petite part de la langue que vous ne connaissez pas encore.

De plus, Krashen établit une distinction entre « acquisition » (par le processus vu plus haut) et « apprentissage ». Ce deuxième terme recouvre l’approche académique de la langue, qui permet d’améliorer la correction. C’est pour cette raison que, lorsque vous êtes arrivé à l’école primaire, vous parliez déjà votre langue maternelle, puis on vous a inculqué une langue « correcte », basée sur des règles de grammaire et de conjugaison.

Vous l’aurez compris : les outils scolaires, dont fait partie la liste de vocabulaire, sont potentiellement précieux, mais ne suffisent pas à maîtriser une langue. Krashen préconise une immersion poussée, qui passe notamment par la lecture. Cette acquisition naturelle, vous ne l’obtiendrez jamais avec des listes de mots présentées sans aucun contexte.

La lecture, une activité fabuleuse pour apprendre une langue.

L’importance de la répétition

Une autre composante primordiale d’un apprentissage réussi est la répétition. Votre cerveau retient plus facilement des informations qui reviennent souvent. C’est pour cette raison que vous n’oublierez jamais le prénom de vos parents, mais pas celui d’une personne croisée une seule fois.

Ce qui permet de détacher un premier axe d’amélioration : en faire un peu tous les jours. Pendant ma scolarité puis mes études, j’ai eu tendance à réviser mes listes de vocabulaire le soir même, le week-end puis la veille de l’interrogation. Grave erreur : il est préférable d’y revenir chaque jour. Il reste cependant un problème de taille : que deviendra ce vocabulaire passé le contrôle ? Il est fort possible que vous l’oubliiez au bout de quelques semaines.

Une méthode consistant en une succession de listes apprises par cœur ne vous fournira donc pas suffisamment de répétitions sur le moyen terme. Vous prenez tout simplement le risque d’oublier votre vocabulaire au fur et à mesure, comme si vous essayiez de remplir un récipient troué.

Un intérêt pour cet activité

Franchement, entre nous… Apprendre par cœur une liste, ce n’est pas exactement le passe-temps le plus affriolant au monde. En comparaison, des activités d’immersion telles que la lecture de romans ou le visionnage de films sont beaucoup plus enthousiasmantes. C’est bien l’écueil majeur de l’apprentissage par listes : un support sans âme pour une activité sans plaisir.

En plus de son input hypothesis, Stephen Krashen en a théorisé une autre : l’affective filter hypothesis, ou « hypothèse du filtre affectif ». Elle stipule que la capacité d’acquisition d’ un apprenant est impactée négativement par des émotions tels que la peur ou la honte.

En d’autres termes, cette pratique rébarbative, conditionnée par la potentielle sanction par une mauvaise note, active votre filtre affectif. En conséquence, vous avez du mal à apprendre correctement votre langue cible.

Une liste de vocabulaire vous donne la désagréable impression d’apprendre une page du dictionnaire ? C’est à peu près aussi enthousiasmant.

Alors que faire à la place ?

Pour commencer, vous pouvez utiliser vos listes de vocabulaire comme combustible : elles feront merveille pour allumer le feu de votre cheminée ou de votre barbecue. Une fois que ce sera fait, vous pourrez opter pour des solutions plus efficaces.

La répétition espacée et la courbe de l’oubli

Nous devons ces concepts à un psychologue allemand, Hermann Ebbinghaus, considéré comme le père de l’étude expérimentale de la mémoire. Dans son ouvrage Über das Gedächtnis (De la mémoire), il présente les résultats d’une expérience portant sur la rétention de syllabes dénuées de sens. Il met en évidence un fait révolutionnaire : une information nouvelle est naturellement oubliée rapidement par le cerveau, si elle n’est pas révisée régulièrement. Inversement, plus une information est répétée, plus la faculté de rétention augmente. A partir de ses propres tests, Ebbinghaus a tracé un graphique aujourd’hui connu sous le nom de « courbe de l’oubli ».

Une représentation de la courbe de l’oubli (source).

Autrement dit, si vous voulez retenir durablement votre vocabulaire, vous devez le réviser de manière répétée et à intervalles réguliers, jusqu’à le rendre plus ou moins indélébile. C’est le principe de la répétition espacée : revoir plus souvent le vocabulaire nouveau ou mal maîtrisé et plus rarement celui que vous connaissez bien.

Des applications bien pratiques

Les travaux d’Ebbinghaus ont inspiré un autre citoyen allemand, Sebastian Leitner. Passionné par l’apprentissage, il a l’idée d’un système basé sur le principe de répétition espacée. Dans son libre So lernt man lernen (« Comment apprendre à apprendre »), publié en 1972, il livre sa méthode, désormais baptisée « système Leitner ». Elle repose sur un ensemble de cartes mémoire (aussi appelées flashcards en anglais), sur lesquelles sont inscrites les informations à mémoriser. Chaque carte est rangée dans une boîte en fonction du degré de connaissance. Par la suite, les cartes sont révisées plus ou moins souvent en fonction de la boîte dans laquelle elles sont placées. Les cartes mémoire de la boîte n°1 sont revues très régulièrement, celles de la boîte n°2 un peu moins, et ainsi de suite.

Une représentation des boîtes de Leitner : si vous restituez correctement l’information d’une carte, vous pourrez la placer dans la boîte suivante. Sinon, elle retournera dans la première boîte et vous la réviserez plus souvent (source).

Ce système est puissant, mais vous remarquerez qu’il peut être difficile à mettre en œuvre : créer une carte physique pour chaque mot de vocabulaire est contraignant, tout comme le fait de définir le meilleur moment pour vos révisions. C’est là qu’entrent en scène les applications de répétition espacée. Ces logiciels automatisent les tâches les plus laborieuses et vous servent le vocabulaire sur un plateau d’argent.

Ces applications, accessibles depuis votre ordinateur et votre téléphone, vous permettront de réviser votre vocabulaire de la meilleure manière possible, c’est-à-dire suivant le fonctionnement de votre cerveau. Parmi ces programmes, on peut notamment citer Anki, MosaLingua ou encore Memrise. Ils vous rendront d’immenses services et remplaceront n’importe quelle liste de vocabulaire.

Toujours plus d’immersion

Si, à l’heure actuelle, vous tenez de répéter la méthode scolaire consistant à ingurgiter des listes, sans obtenir de résultats probants, la solution est toute trouvée : moins de bourrage de crâne, plus d’immersion. Certaines activités sont royales pour étoffer votre vocabulaire, notamment la lecture et l’écoute extensive.

Plus vous vous exposerez à votre langue cible, plus vous aurez l’occasion de voir (et revoir) du nouveau vocabulaire. Libre à vous de l’ajouter à l’une des applications de répétition espacée vues plus haut pour rendre le processus plus efficace encore.

Et si je veux vraiment utiliser une liste de vocabulaire ?

Je sais, certains d’entre vous ont une passion pour les listes et refusent catégoriquement de les mettre à la poubelle. Si c’est votre cas, je peux au moins fournir quelques cas dans lesquelles une liste de vocabulaire peut avoir un intérêt.

Comme outil de contrôle

Plutôt qu’un moyen, vous pouvez considérer votre liste de vocabulaire comme une fin : elle vous indique simplement les mots et expressions à connaître. C’est d’ailleurs l’une des failles de l’apprentissage scolaire : on vous donne des connaissances à acquérir, sans vous montrer comment faire.

Je vous recommande donc de vous concentrer sur une application de répétition espacée et d’utiliser la liste de vocabulaire elle-même comme un outil de contrôle : connaissez-vous ou non les termes que vous avez sous les yeux ?

Employée dans un rôle de contrôle, la liste de vocabulaire devient un outil tout à fait valable.

Le cas des listes de fréquence

C’est un outil qui revient souvent sur l’Internet anglophone. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une liste de vocabulaire qui classe les mots en fonction de leur fréquence d’apparition dans un corpus. L’intérêt ? Vous fournir en priorité les mots les plus importants, qui vous aideront à comprendre et parler plus vite votre langue cible.

La sentence sera dans tous les cas inchangée : une liste de fréquence a vocation à contrôler vos connaissances. Elle ne constitue donc pas, en elles-mêmes, un moyen d’apprentissage satisfaisant. Si vous connaissez le vocabulaire présent, tant mieux. Sinon, vous pouvez l’apprendre sur une application de répétition espacée.

Vers un apprentissage sans liste de vocabulaire

J’ai toujours eu beaucoup de mal avec ce support et il m’aura fallu plusieurs années pour réaliser que c’était tout à fait normal. C’est d’ailleurs l’une des choses que j’aurais aimé savoir à mes débuts ! J’espère en tout cas que cet article vous a permis de découvrir de nouvelles pistes pour apprendre votre vocabulaire efficacement et avec plaisir.

Pierre

Fondateur du Monde des Langues, j'aide les passionnés de langues à devenir plus autonomes et à atteindre leurs objectifs. J'ai eu l'occasion d'apprendre l'allemand, l'anglais, le finnois, l'italien et le japonais.

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