Note : le billet d’aujourd’hui est inspiré d’un article publié par l’auteur Tim Ferriss sur son blog, 4-hour workweek. Derrière ce titre un brin audacieux, « Comment apprendre (sans maîtriser) n’importe quelle langue en l’espace d’une heure », se cachent de très bons conseils que je vais vous livrer.
J’avoue ne pas avoir lu son fameux livre La Semaine de 4 heures, mais j’apprécie l’idée que prône Tim Ferriss dans ses articles sur les langues étrangères, à savoir travailler efficacement en se concentrant sur l’essentiel, pour obtenir des résultats rapides et exploitables.L’auteur propose donc une méthode permettant de décortiquer une langue que l’on n’a jamais pratiquée auparavant, pour mettre en lumière ses structures de base et anticiper d’éventuelles difficultés.
J’en profite pour faire un petit aparté : à mes yeux, la question de savoir si une langue est difficile est absolument vide de sens. Il n’y a pas de langues faciles ou difficiles, mais des langues comportant plus ou moins de structures mentales que vous maîtrisez déjà.
Par exemple, si en tant que francophone vous vous mettez à l’italien, du point de vue de la syntaxe, de la grammaire et du vocabulaire, tout vous paraîtra relativement familier, donc assez facile.
A présent, imaginez qu’un Japonais décide d’apprendre l’italien, sans connaissance préalable d’une autre langue romane : il devra apprivoiser un nouvel alphabet, un nouveau vocabulaire, des structures grammaticales exotiques. Bref, pour lui, apprendre l’italien ne sera pas une mince affaire !
Analysons une langue : l’allemand
Pour analyser une langue, il suffit de demander à l’un de ses locuteurs de vous traduire les six phrases suivantes :
La pomme est rouge
C’est la pomme de Jean
Je donne la pomme à Jean
Nous lui donnons la pomme
Il la donne à Jean
Elle la lui donne
A partir de ces six phrases, vous aurez un aperçu du fonctionnement de la langue : structure de la phrase, présence ou non de cas et déclinaisons (les terribles déclinaisons…), comment la langue gère le COD (complément d’objet direct) et COI (complément d’objet indirect), le masculin et le féminin… Bref, ça commence à faire pas mal !
Dans le tableau suivant, j’ai traduit les six phrases du français à l’allemand et ajouté une transcription mot à mot pour vous aider à voir comment sont construites les phrases allemandes.
Bien sûr, cette méthode peut s’appliquer à n’importe quelle autre langue.
A partir de ces seules six phrases, il est possible de tirer un grand nombre de conclusions, dont voici un échantillon :
- La structure de la phrase est en SVO (sujet-verbe-objet), comme en français.
- La tournure « la pomme de Jean » est rendue en « Johanns Apfel ». Ce S marquant la possession ressemble beaucoup au « ‘s » anglais.
- On voit émerger une différence entre « der » et « den » (« le » en allemand, le mot allemand pour dire pomme étant masculin). Oui, l’allemand possède un système de cas (horreur !). Idem avec « er », « ihn » et « ihm » (« il », « lui », « à lui »).
- Il est même possible de voir apparaître les quatre cas de l’allemand, pas mal avec seulement six phrases ! Nous avons donc, en gros, le nominatif (cas du sujet : « der », « er »), l’accusatif (cas du COD : « den », « ihn »), le datif (cas du COI : « ihm ») et même le génitif (cas représentant la possession : « Johanns »).
- Les articles définis font le distinguo entre le masculin (« er ») et le féminin (« sie »), ce qui n’est pas le cas de toutes les langues.
- Remarquez la différence entre les structures « Ich gebe Johann den Apfel » (« je donne à Jean la pomme ») et « er gibt ihn Johann » (« il donne la à Jean »). Le placement du COD et COI peut varier, cette structure peut éventuellement poser problème à l’avenir.
Fort de ces informations, vous êtes à présent en mesure d’estimer quelles seraient vos difficultés face à l’allemand, en fonction des langues que vous connaissez déjà.
Vous n’avez jamais appris de langues à déclinaisons ? Ce point précis risque donc de vous demander un certain travail.
Au contraire, vous maîtrisez déjà une langue à déclinaisons, comme le russe ou le finnois ? L’allemand ne vous posera guère de difficulté dans ce domaine.
Et ainsi de suite !
Ensuite, libre à vous de rajouter des phrases plus complexes, en fonction de ce que vous souhaitez faire émerger : fonctionnement de la négation, des subordonnées, etc. En voici un petit échantillon :
Je dois la lui donner (à lui)
Je veux la lui donner (à elle)
Ce n’est pas la pomme de Jean
Je ne donne pas la pomme à Jean
Ce système vous permet, en fonction de vos connaissances préalables et de vos difficultés personnelles, d’estimer la vitesse à laquelle vous pensez pouvoir progresser. Je ne le dirai jamais assez, pour apprendre une langue efficacement tout en restant motivé, il faut se fixer des objectifs clairs et réalistes.
Alphabet et phonétique : l’exemple du russe
Dans un second temps, Tim Ferriss propose d’examiner l’alphabet de la langue, avec ses différentes sonorités. En cherchant sur Internet, vous trouverez facilement tout cela, avec des transcriptions des sons en API (alphabet phonétique international) si vous maîtrisez ce système, voire des enregistrements sonores pour chaque son. Wikipédia est une mine d’or en la matière.
Prenons comme exemple le russe, écrit en cyrillique. Au premier abord, ce nouvel alphabet a de quoi faire peur. La méthode proposée par Tim Ferriss permet de dissiper cette impression (subjective) et de réellement isoler les difficultés (objectives).
En regardant le tableau ci-dessus, vous vous rendrez vite compte que la majorité des sons russes existent déjà en français. En réalité, l’alphabet cyrillique est très facile à mémoriser !
Même les lettres un peu impressionnantes comme Щ (ch-tch) ne devraient pas vous poser problème, car vous savez déjà prononcer ces sons en français.
En revanche, on peut voir émerger trois difficultés potentielles :
- La lettre Х, qui se prononce comme un ch en allemand (ach) ou un j en espagnol (jota). Si ces langues vous sont familières, l’affaire est réglée ! Sinon, vous allez devoir apprendre à prononcer ce son, qui n’existe pas en français.
- Les lettres Ъ et Ь sont un peu spéciales car elles ne représentent pas un son en particulier. Une spécificité de la langue russe, qu’il va falloir apprendre.
- Enfin, la lettre Ы risque de vous poser des difficultés, car elle représente un son sans équivalent en français, à mi-chemin entre le u et le i.
Quelle que soit la langue de votre choix, il suffit généralement d’une petite demi-heure pour identifier les difficultés que posent l’alphabet et les sons de base.
En d’autres termes, vous êtes une nouvelle fois capable de vous fixer des objectifs précis, en identifiant les points qui pourraient vous demander plus de travail que d’autres.
Limites à cette méthode
Bien que j’aie été séduit par cette façon de faire, je dois admettre qu’à mes yeux, elle comporte quelques faiblesses :
- Elle est un peu complexe et demande des connaissances de base en linguistique. Si vous bataillez pour apprendre votre première langue vivante, laissez-la de côté. En revanche, je vous recommande d’adopter au plus vite une approche analytique des langues, vous serez vite étonné par vos progrès 🙂
- Certaines difficultés peuvent vous échapper. Par exemple, l’alphabet anglais est très simple, mais il ne permet pas d’identifier les très nombreuses sonorités qui n’existent pas en français.
- Elle est difficile à mettre en place sans aide. Vous trouverez assez facilement les traductions des phrases présentées plus haut, sur différents forums consacrés aux langues, ainsi que des prononciations de sons étrangers, que ce soit sur Wikipédia ou sur ce site. Pour autant, je vous recommande vraiment de vous faire aider par un locuteur de cette langue pour être réellement efficace.
Une remarque pour finir : nous apprenons en majorité les langues en fonction de facteurs très personnels (culture, travail, origines familiales…). Si vous souhaitez vous mettre à une langue que cette méthode fait apparaître comme difficile, ne vous découragez pas pour autant. Au besoin, revoyez vos objectifs légèrement à la baisse, pour éviter d’être frustré et de vous démotiver.
Je le répète : il n’y a pas de langue facile ou difficile, mais des langues pour lesquelles vous vous êtes fixé des objectifs réalistes.
Photo : Flickr
Bonjour et merci pour ce site, très bien pensé.
Pour l’exemple de l’alphabet russe, ce qui peut être surtout déroutant (et qui l’est moins quand on apprend l’alphabet arabe ou hébreu), c’est la similitude avec des lettres latines qui donnent des sons différents, comme le P qui donne le son R, le B qui donne le son V ou encore le Y qui donne le son u (ou).
Et puis bien sûr certaines lettres manuscrites qui n’ont plus rien à voir avec le caractère d’imprimerie, comme le T qui ressemble au m latin ou le D minuscule qui ressemble au g latin…
Rien d’insurmontable en soit, mais juste une fâcheuse tendance à lire la lettre à la mode latine !
Je suis d’accord : le cyrillique en caractères d’imprimerie ne pose pas de problème particulier, mais à partir du moment où on s’attaque à l’écriture cursive, les ennuis commencent ! Ce « t » qui s’écrit comme un « m », sérieusement… Evidemment, tout est relatif et on finit par s’y faire, j’ai l’impression que les difficultés du russe reposent plutôt dans la grammaire et le conjugaison.