Lorsqu’on se prend de passion pour un domaine, je parle bien évidemment des langues étrangères, on a tôt fait de perdre de vue un fait pourtant évident : tout le monde ne partage pas cet enthousiasme débordant. Il m’arrive régulièrement de croiser des personnes pour qui l’apprentissage des langues est une activité profondément ennuyeuse et rébarbative. Comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles sont les origines d’un tel clivage entre passionnés et réfractaires aux langues étrangères ?
Les langues étrangères, plaisir ou calvaire ?
A la base de tout projet : la motivation
Je vous ai déjà longuement parlé de la motivation appliquée aux langues étrangères. Pourtant, il s’avère indispensable de revenir sur ce facteur, à mes yeux le plus important de tous. Au fond, environnement familial mis à part, quelle est la véritable différence entre deux personnes, l’une monolingue (ne parlant que sa langue maternelle) et l’autre polyglotte (parlant plusieurs langues) ? Un don inné ? Peut-être, mais c’est rare. L’argent ? Son importance est à relativiser. Une éducation de qualité ? Cela a en effet son importance.
Non, le véritable facteur déterminant, le seul à réellement faire une différence au fil des années, c’est bien la motivation, sous ses différents avatars : la passion, la curiosité, l’envie dévorante qui pousse à peaufiner sa maîtrise de chaque langue et d’en découvrir sans cesse de nouvelles.
On me dit parfois que je possède des facilités pour les langues, dont serait dépourvu le commun des mortels. Je n’y crois pas une seconde et je le dis sans fausse modestie aucune : ma capacité d’apprentissage, je l’ai développée à force de travail et d’expérimentation, en tâtonnant parfois et en me trompant souvent. Bref, je ne suis pas né avec des dispositions particulières, j’ai simplement accumulé beaucoup d’expérience. Si j’ai créé Le Monde des Langues, c’est précisément pour partager avec vous les techniques que j’aurais voulu connaître il y a dix ans et parce que je suis convaincu qu’elles sont à la portée d’absolument tout le monde.
L’unique secret des polyglottes ? L’envie d’apprendre
Alors à présent, lorsqu’on évoque mon prétendu « don des langues », je réponds simplement que lorsque je me trouve au rayon langues étrangères d’une librairie, je vois dans chaque livre une invitation au voyage et à la découverte, des rencontres et des expériences nouvelles. A l’inverse, beaucoup n’y trouvent malheureusement que la promesse d’un ennui mortel.
C’est, en fin de compte, la seule et unique différence entre le succès et l’échec vis-à-vis des langues étrangères. La méthode d’apprentissage a évidemment son importance, mais elle n’est rien sans la motivation.
Le travail vu comme une souffrance, une conception éculée
Dans un précédent article, j’analysais les causes profondes de la prétendue nullité des Français en langues. A mes yeux, nous avons un problème avec le travail, que nous considérons comme une souffrance nécessaire, source de vertu. Si on ne réussit pas, c’est qu’on n’a pas suffisamment travaillé, qu’on est resté à se tourner les pouces, par opposition au voisin méritant qui, lui, en a bavé. Rappelons que le mot « travail » vient du latin trepalium (« instrument de torture » !), qui a par exemple donné le verbe travagliare en italien, qui signifie… « tourmenter » !
Certes, le travail reste nécessaire et ce serait vous mentir que de prétendre qu’il est possible d’apprendre une langue étrangère sans fournir le moindre effort. Cela étant dit, le travail doit-il absolument être désagréable pour être efficace ? Un médicament doit-il forcément avoir un goût atroce pour nous guérir rapidement ?
Les fausses croyances ont décidément la vie dure et n’ont pas fini de nous mettre des bâtons dans les roues. Au risque de me répéter, il n’est pas nécessaire de travailler dur pour apprendre une langue, mais de travailler régulièrement. Si vous envisagez chacune de vos séances de révision comme une souffrance inévitable plutôt que comme un plaisir, vous vous tirez une balle dans le pied.
Pour mieux apprendre, changez vos habitudes
Lorsque vous vous attelez à la tâche, ne le faites pas comme si vous vous apprêtiez à passer un mauvais moment. Révisez si possible à un moment de la journée où vous êtes plein d’énergie : si vous le faites tard le soir alors que votre seule envie est d’aller dormir, vous risquez non seulement de ne pas être efficace, mais de vivre ce travail comme une punition.
La meilleure solution reste de le faire le matin si vous en avez le temps, ou bien le soir quand vous venez de rentrer chez vous. Vous serez plus alerte à ce moment-là qu’après une demi-heure passée sur votre canapé. Choisissez la solution qui vous convient le mieux et transformez-la en habitude.
Arrêtez de subir votre apprentissage, vivez-le
Si tant de personnes associent les langues étrangères à l’ennui, c’est parce que leur expérience personnelle, donc souvent leurs études, a justement été un long moment d’ennui. Si je ne veux pas faire de généralisation hâtive, il faut bien admettre que dans de nombreuses écoles et universités, l’enseignement en langues se résume souvent à des montagnes de polycopiés sur le business English, distribués par des enseignants à qui on laisse rarement la possibilité de développer des programmes plus ambitieux.
Si, dans votre vie d’adulte, votre contact avec les langues étrangères s’est limité aux dialogues du TOEIC ou aux simulations d’entretien d’embauche en anglais, je peux tout à fait comprendre que vous n’ayez pas développé une passion brûlante pour cet univers.
De la valeur utilitaire à la valeur personnelle
Je ne suis pas en train de dire que cet anglais professionnel est inutile. Au contraire, il est justement très utile, trop peut-être, au point d’en devenir simplement utilitaire. Nous n’apprenons pas les langues étrangères parce qu’elles viennent répondre à un besoin profond, mais parce qu’elles sont vues comme un simple bagage permettant de trouver un travail. Nous ne sommes pas motivés par une volonté personnelle, mais par une nécessité sociale.
Cet utilitarisme est à mon sens peu compatible avec le plaisir d’apprendre les langues tel que je le conçois : s’immerger dans une culture, par rapport à des envies et des projets personnels. Le fait de vouloir gagner de l’argent peut faire partie de ces bonnes raisons, mais je ne pense pas que ce soit une fin en soi : je mets quiconque au défi d’apprendre des milliers de sinogrammes dans le simple but de faire figurer le mandarin sur son CV.
Apprenez dans le bon ordre
Dans les premiers mois de son apprentissage, il est bon de se laisser guider. On n’a pas forcément conscience des priorités propres à chaque langue, des mots et formules les plus utiles. Profitez-en donc, dans un premier temps, pour vous constituer un socle de connaissances.
Passé ce stade, le temps est venu de prendre votre indépendance. Beaucoup trop d’apprenants font les choses « à l’envers », en continuant d’apprendre le vocabulaire que leur présente leur méthode plutôt que celui dont ils ont réellement besoin. Pour éviter de tomber dans ce piège, posez-vous la question suivante : « Dans les prochains mois, qu’ai-je envie de faire avec cette langue que je ne peux pas encore faire aujourd’hui ? ».
A partir de ce problème initial, définissez des axes de travail qui vous permettront de le résoudre. Vous avez prévu un voyage dans un pays étranger ? Apprenez en priorité le vocabulaire lié au tourisme, à l’hôtellerie, à la restauration…
En prenant ce recul sur votre apprentissage, vous le trouverez beaucoup plus plaisant. Entre s’enfoncer dans une routine de bourrage de crâne et apprendre pour concrétiser des projets qui vous motivent, vous conviendrez que le choix est très vite fait !
Redonnez du sens à votre projet
Pour reprendre les mots du psychologue américain Barry Schwartz, il est possible de trouver une satisfaction dans le travail lui-même, à condition qu’il ait du sens et apporte un sentiment d’accomplissement. Pour plus d’informations, je vous invite à consulter cet article. A travers cette notion de sens, nous retrouvons ce que je vous avais expliqué dans l’article sur la motivation.
En adoptant cet état d’esprit, non seulement vous progresserez beaucoup plus vite, mais vous prendrez surtout plaisir à le faire.
Pour une vision plus globale de l’apprentissage des langues
Il me semble nécessaire de sortir l’apprentissage des langues étrangères de sa tour d’ivoire dans laquelle on le place trop souvent, pour lui redonner la place qui devrait être la sienne : une amélioration de soi plutôt qu’un simple exercice de mémorisation, une ouverture sur l’humanité plutôt qu’une discipline élitiste.
Je dis souvent que plus on apprend de langues étrangères, plus il devient facile d’en apprendre d’autres. On peut appliquer ce même principe à la satisfaction : plus on apprend de langues, plus il devient plaisant de les apprendre.
Je suis convaincu que le fait de connaître une langue, même rare, et surtout de la pratiquer auprès de ses locuteurs, apporte une satisfaction telle qu’on a toujours envie d’en apprendre une nouvelle, puis une autre…
C’est pour cette raison que j’ai fait le choix de consacrer ce blog à toutes les langues étrangères, car, en fin de compte, que l’on apprenne le russe, l’arabe ou le tagalog, la procédure est à peu près la même et le plaisir reste inchangé.
Alors, la prochaine fois que vous vous mettez au travail, n’ayez pas peur de vous demander : « Comment pourrais-je m’amuser encore plus en apprenant cette langue ? ». Si vous transformez cette activité en véritable passion, vous ne la vivrez plus jamais comme une contrainte, mais comme l’un des éléments les plus gratifiants de votre vie.
Source des images : Sonny Abesamis, Riccardo Cuppini, JJ Hall.
Bonjour Pierre,
Merci pour ton article.
« On me dit parfois que je possède des facilités pour les langues, dont serait dépourvu le commun des mortels. » J’ai entendu cette phrase de nombreuses fois et, pour dire vrai, elle a tendance à m’agacer. J’ai toujours le sentiment que les personnes qui me disent cela ne voient pas tout le travail que j’ai fourni pour en arriver là. Comme si le savoir pénétrait mon cerveau d’une façon un peu magique !
Concernant le fait d’apprendre du vocabulaire ou des éléments linguistiques dont on a vraiment besoin, je suis à 100% d’accord. J’ajouterais un petit conseil : le mind-mapping. J’ai récemment écrit un article sur le sujet qui m’a permis de me pencher sur la question. Cet outil est super pour faire et le point et décider ou l’on va. Sur le sujet je recommande le blog de Nomadity : qui traite en profondeur de la question ! http://www.nomadity.be/blog_decouverte/blog/
Voilà, la connaissance de la langue à l’instant T est un peu la partie émergée de l’iceberg et les gens voient rarement les années de travail qui se cachent en-dessous. Pour certains, c’est une manière commode de ne pas apprendre les langues étrangères, en se persuadant que seuls les « génies » en sont capables.
Je n’ai jamais pensé à utiliser les mind maps / cartes heuristiques pour les langues, j’essaierai !
Bonsoir Mr Pierre je trouve votre article extrêmement important; sil vous plait pourrais-vous m'aider pour mon projet de recherche sur le thème: le nord Cameroun et le défit des apprenants pour la langue étrangère ?