En ouvrant cet article, vous vous êtes sans doute demandé pourquoi j’optais pour un titre à ce point effrayant. Il ne s’agit évidemment pas de vous annoncer une issue aussi funeste qu’inévitable à votre projet, mais de vous faire une mise en garde. En 2017, il n’a jamais été aussi simple d’apprendre une langue grâce à des moyens techniques qui n’existaient pas quelques années plus tôt, mais trop vous reposer dessus risque de vous porter préjudice. Dans cet article, nous verrons donc quelle est la bonne attitude à adopter pour apprendre une langue étrangère dans notre monde moderne.
Note : Cet article a été réalisé dans le cadre de l’événement « Des blogs et des langues », sur le thème « Comment apprendre efficacement une langue aujourd’hui ? », organisé par Karim Joutet. Retrouvez tous les autres blogueurs ayant partagé leur point de vue sur le blog Espagnol pas à pas.
En 2017, aucune raison de ne pas vous y mettre !
En l’espace de quelques décennies, les technologies de l’information ont révolutionné notre manière d’apprendre. Mieux, elles ont levé de nombreuses difficultés autrefois insolubles.
Vous habitez dans une commune de 1 000 habitants et il n’y a pas un seul professeur à la ronde ? Un micro et une webcam vous permettront de prendre des cours avec des personnes vivant à l’autre bout du monde.
Vous n’avez jamais le temps de vous asseoir devant des livres et êtes toujours en vadrouille ? Un simple téléphone suffira à accomplir un grand nombre de tâches.
Vous ne vivez pas dans le pays où est parlée la langue ? En quelques clics, vous avez accès à des films, séries télé, stations radio… Tout ce dont vous avez besoin pour vous créer une bulle d’immersion personnalisée.
Bref, notre époque laisse très peu de raisons valables de ne pas se mettre à une langue. En apparence seulement.
Dans les faits, si le tableau était aussi idyllique, nous serions tous polyglotte depuis belle lurette. Pourtant, force est de constater que ce n’est pas le cas.
Mais qu’est-ce qui cloche, au juste ?
Le problème, c’est que nous voyons trop la technologie comme une fin en soi, alors qu’elle n’est et n’a jamais été qu’un outil. C’est la manière d’utiliser cet outil qui déterminera (ou non) votre succès, qu’il s’agisse d’un silex préhistorique ou d’un ordinateur dernier cri.
Autrement dit, si vous employez mal l’outil en question, vous n’obtiendrez aucun résultat.
Apprentissage efficace contre illusion d’apprendre
Le piège le plus fréquent et le plus difficile à éviter dans l’étude d’une langue est sans doute l’illusion d’apprendre. En d’autres termes, nous faisons trop souvent des activités qui nous donnent l’impression d’avancer, mais qui concrètement ne nous apportent rien, ou presque.
Ce constat peut sembler dur, mais comment expliquer autrement que certaines personnes passent des années à étudier une langue pour être incapables de formuler une phrase correcte, tandis que d’autres parviennent à en maîtriser les rudiments au bout de quelques mois à peine ?
S’il peut être tentant d’invoquer le talent, le secret de la réussite réside plutôt dans une bonne méthode de travail, qui se base sur des ressources de qualité et bien employées.
Des ressources inadaptées ou mal employées
Nous arrivons alors au cœur du problème : avec toutes les ressources à notre disposition, pas facile de choisir celles qui nous feront réellement progresser.
Certaines d’entre elles ont prouvé leur inefficacité, comme les longues listes de vocabulaire à lire avant d’aller se coucher.
D’autres en revanche sont à double tranchant, comme les films et séries en VO : si vous avez un niveau intermédiaire à avancé, ils pourront constituer un excellent exercice d’écoute. Si vous êtes un parfait débutant, vous vous contenterez de lire les sous-titres en français et vous ne comprendrez rien au charabia que représentent les dialogues.
De plus, on lit souvent sur Internet que pour apprendre une langue, il faut le faire en s’amusant. Pourquoi pas. Toutefois, si votre travail quotidien n’a pas besoin d’être une torture (loin de là !), demandez-vous toujours si les ressources que vous utilisez pour apprendre en vous amusant vous permettent réellement… d’apprendre.
Sinon, vous allez juste vous amuser et au bout du compte cela ne vous amènera pas à grand-chose.
La différence entre apprendre une langue… et la parler vraiment
Autre piège sournois, qui ne date certes pas d’hier mais qui s’est trouvé renforcé par la multitude d’applications disponibles : réussir dans le cadre de son apprentissage, mais pas en situation réelle.
Prenons un exemple que vous connaissez certainement : les fameuses cartes mémoire des applications de répétition espacée. D’accord, le fonctionnement de ces dernières est basé sur des études scientifiques. D’accord, elles sont réellement efficaces pour mémoriser beaucoup de vocabulaire en très peu de temps.
Mais ne vous est-il jamais arrivé d’apprendre des centaines de mots sur votre téléphone, d’être capable de les restituer pendant vos révisions… mais de ne jamais y penser dans vos conversations avec des locuteurs natifs ?
Si c’est votre cas, vous avez simplement pris la mauvaise habitude d’apprendre des éléments d’une langue pour les restituer dans le cadre d’un logiciel ou d’une application, donc dans un bocal qui ne communique que très partiellement avec le monde extérieur.
Les règles du jeu : ludification ou perte de temps ?
C’est encore pire si vous utilisez l’une des récentes applications « ludiques ». Elles ne mesurent votre maîtrise de la langue que dans leur cadre virtuel et vous récompensent à coup d’XP, de jauges qui se remplissent et de « pourcentages de maîtrise de la langue ».
C’est bien joli, mais que vous disent ces chiffres sur vos compétences réelles dans le feu de l’action ? Parce qu’il y a un monde entre finir un exercice sur son téléphone et demander son chemin à des passants au fort accent local.
De la même manière que les compétences acquises dans un jeu vidéo sont rarement transposables dans la vie de tous les jours, vos résultats sur une application déguisée en jeu le seront rarement dans une conversation réelle.
Il ne s’agit évidemment pas ici de dénigrer ces systèmes ludiques. Pour avoir travaillé dans l’industrie du jeu vidéo, je sais à quel point ils peuvent être puissants pour renforcer votre motivation et rendre amusantes des activités répétitives.
Néanmoins, vous devez faire en sorte de ne pas rester focalisé dessus et de réemployer activement les connaissances acquises sur ces applications, dans un cadre plus concret.
Sinon, vous en resterez au stade de « J’ai appris plus de 1 000 mots sur Memrise, pourtant je n’arrive pas à parler ! ».
Beaucoup de communication, peu de promesses tenues
Autre symptôme de notre époque, des effets de communication exagérément enthousiastes, souvent trompeurs. L’apprentissage des langues est un marché concurrentiel, il est donc nécessaire d’y faire de belles promesses pour se faire entendre.
On peut évidemment comprendre les entreprises du secteur : « L’espagnol avec beaucoup de galères mais vous y arriverez peut-être un jour » est tout de suite moins engageant que « L’espagnol sans peine », mais le bouchon est souvent poussé trop loin à mon goût.
Entre les annonces exagérément optimistes du style « N’importe qui peut parler couramment n’importe quelle langue en moins de 3 mois », les techniques de mémorisation connues depuis des siècles qui deviennent du jour au lendemain des « révolutions scientifiques », la mode du language hacking… Au bout d’un moment, trop, c’est trop.
Une dernière pour la route : une publicité vue récemment nous indique qu’une jeune femme a maîtrisé les bases de l’allemand en 3 heures. En 2018, il sera sans doute possible de le faire en 2 minutes et 43 secondes. On n’arrête pas le progrès.
Si ces exemples absurdes prêtent à sourire, restez tout de même prudent face aux grandes promesses de manière générale. Je reste persuadé qu’apprendre une langue n’est pas spécialement compliqué et que tout le monde peut y arriver, mais c’est une activité qui demande du temps et un engagement quotidien sur la durée.
Il existe des moyens d’avancer plus vite, mais il n’y a pas de raccourci permettant de brûler les étapes. Croyez-moi, j’en suis le premier navré !
Le fantasme de la gratuité
J’entre à présent dans un domaine assez sensible, pour ne pas dire miné. Bien sûr, comme je vends des formations, on pourra me dire que je prêche pour ma chapelle. Certes, mais pas seulement.
J’ai toujours défendu l’accès au savoir, qui n’est en aucun cas réservé à une caste privilégiée.
Je dirais même qu’avec un peu de débrouillardise, apprendre une langue est l’une des occupations les plus abordables qui soient. Sauf si vous êtes du genre à collectionner les méthodes et manuels de grammaire, ce passe-temps vous reviendra moins cher que, mettons, le ski ou le golf.
Cependant, j’observe une tendance chez les apprenants à vouloir absolument tout faire gratuitement. Sites gratuits, applications gratuites… On m’a même déjà demandé si je donnais des cours gratuits, pour tout vous dire.
Internet a permis l’essor d’une formidable culture du partage, avec énormément de ressources de qualité et totalement gratuites. J’en utilise moi-même un certain nombre, parfois plus que leurs homologues payants.
Maintenant, quand je vois certaines personnes crier au scandale quand une application sur téléphone mobile coûte 5 €, je tombe des nues. Ou alors affirmer que mettre 60 € dans une méthode qui leur servira pour les trois ou six prochains mois, c’est beaucoup trop.
Je peux comprendre que tout le monde ne puisse pas se payer des cours particuliers avec un professeur réputé ou des séjours linguistiques à l’autre bout du monde. Cette démocratisation de l’apprentissage est l’une des facettes formidables de notre époque. Mais comme toute médaille a son revers, elle cache une facette beaucoup plus sombre.
Apprendre une langue gratuitement, un mauvais pari ?
Même si vous pouvez toujours compter sur ce blog pour vous proposer des ressources gratuites ou peu chères, attention à ne pas tomber dans l’obsession consistant à ne rechercher que du gratuit. Non seulement vous risquez de perdre du temps, mais vous vous retrouverez souvent avec des produits ou services qui ne sont pas réellement adaptées à vos besoins.
Il en va de même pour les cours : on parle beaucoup « d’uberisation du travail » ces derniers temps et on est en plein dedans. Les places de marché du type italki ou Superprof regorgent de personnes qui pratiquent des tarifs défiant toute concurrence.
C’est très bien pour des étudiants étrangers souhaitant se faire un peu d’argent, mais qu’en est-il des professionnels ? J’ai un peu de mal à concevoir comment un enseignant payant des charges arrive à vivre dignement en facturant 15 € de l’heure, à moins d’enchaîner les sessions de cours. Inutile de préciser qu’avec une telle approche « à la chaîne », il n’aura jamais le temps de s’attarder sur votre cas pour vous aider à progresser.
Donc s’il est possible de trouver des formules réellement intéressantes, surtout si votre tuteur se trouve dans un pays où le coût de la vie est moindre, gardez toujours à l’esprit qu’un professeur que vous payez mal est forcément un professeur qui vous enseignera mal.
Et je ne parlerai même pas du sort réservé à nombre de traducteurs. Ce n’est pas le sujet de l’article, mais ce n’est pas beau à voir non plus…
Vers la fin du tout-gratuit ?
J’en profite d’ailleurs pour vous faire part d’une observation : Duolingo, LA plate-forme gratuite par excellence, basée sur un modèle économique permettant de ne pas faire payer les utilisateurs, a récemment changé son fusil d’épaules : après avoir introduit des publicités de plus en plus agressives, l’application propose même de débourser quelques euros pour ne plus les voir s’afficher.
Si sortir la carte bleue ne me semble pas indécent vu les services rendus, ce changement en dit long sur les difficultés que peuvent avoir même les plus grosses sociétés à maintenir un modèle gratuit sur un marché de masse.
Apprendre à apprendre, un objectif toujours indispensable
Bien que cet article ait un ton plus dur que d’habitude, je reste persuadé que notre époque est sans doute la meilleure pour apprendre une langue depuis… l’invention du langage parlé, peut-être ? En revanche, comme les canaux d’apprentissage se sont démultipliés, l’apprenant autodidacte est de plus en plus livré à lui-même dans la jungle des belles promesses et des applications gratuites.
Dans ces conditions, on a vite fait de passer son temps à papillonner d’appli en appli plutôt qu’à apprendre réellement.
Il est donc plus que jamais important d’apprendre à apprendre une langue, pour choisir vos ressources avec discernement, en fonction de vos besoins et objectifs personnels. Ce discernement vous aidera à faire la différence entre les outils utiles et ceux qui le sont moins, mais aussi à faire les investissements qui vous feront gagner du temps.
Autrement dit, si vous vous reposez uniquement sur ces ressources sans les intégrer dans un processus d’apprentissage cohérent, c’est l’échec assuré. Si au contraire vous les insérez dans un projet cohérent et mûrement réfléchi, alors vous mettez toutes les chances de votre côté.
Pour conclure, notre époque sourit aux apprenants malins et indépendants, qui prennent leur étude en main et savent utiliser à leur avantage la myriade de ressources disponibles.
Il n’a jamais été aussi facile d’apprendre une langue étrangère, alors c’est à vous de jouer. Je vous souhaite beaucoup de réussite dans votre beau projet.
Bravo pour cet article vraiment très sensé ! Je partage tes mises en garde sur le mirage technologique et l’obsession de la gratuité. Avec mon expérience d’apprenante et d’enseignante, je suis persuadée que la méthodologie et un accompagnement de qualité sont les clés pour progresser efficacement !
Bien vu l’angle de cet article . Trop de promesses illusoires dans les méthodes de langue en général ! il faut du temps et de l’énergie pour arriver à ses objectifs en langue
Excellent article, qui synthétise avec clarté beaucoup d’éléments essentiels autour de cette problématique. Merci !